Notre relation changeante avec la nourriture
Conception pour un monde en évolution
La nourriture est un moyen de subsistance, non? Ce dont nous avons besoin pour vivre. Mais, elle est plus que cela. Elle définit la société : les actions intentionnelles, sélectives et répétitives de l’agriculture, la préparation et la consommation des ingrédients, qui s’intègrent toutes au fil du temps à la culture, à la cuisine et à l’identité.
Quand nous concevons des produits pour changer le monde, nous cherchons continuellement à sensibiliser aux facteurs de changement; dans la cuisine et dans la production des ingrédients, parce que ces tendances, ces thèmes et ces observations nourrissent notre réflexion sur la conception.
Un festin mobile
Comme on peut s’y attendre, l’histoire de la cuisine est liée à celle de la préparation des aliments. Pour paraphraser Massimo Montanari, auteur de Food is Culture (Columbia University Press, 2006), la préparation des aliments a mené à la création de la cuisine, la transformation de matériaux bruts en ustensiles et la naissance des lignes directrices orales et écrites pour officialiser les techniques de cuisine, comme le rôtissage, le grillage et la friture.
Massimo Montanari a écrit que c’est la « transmission des recettes qui a permis aux aliments de développer leur propre langage et de devenir un produit culturel complexe façonné par le climat, la géographie, la recherche du plaisir et plus tard, la recherche de la santé ».
L’une des lignes les plus connues de l’un des livres sur les aliments les plus populaires : La physiologie du goût de Jean Anthelme Brillat-Savarin (publié en 1825 après 30 ans de recherche) est : « Dis-moi ce que tu manges et je te dirais qui tu es. » Aujourd’hui, il est difficile d’imaginer une culture où la nourriture n’est pas au cœur des célébrations et du réconfort, mais malgré la mondialisation, il est encore possible d’observer des particularités régionales.
En France, la nourriture est un plaisir et un loisir; et les repas pour emporter sont relativement rares. En Italie, le chercheur alimentaire Mark Bolasco écrit la nourriture « est amour, puis nutrition, puis histoire, puis plaisir ». Dans la culture arabe, la nourriture est essentielle à la société; elle sert à marquer plusieurs rituels importants.
Il existe des différences générationnelles et culturelles. L’écrivaine Jennifer Lee, autrice du livre The Fortune Cookie Chronicles, a expliqué que la plupart des Chinois nés après la révolution culturelle ne savent pas cuisiner. Elle a écrit : « Les jeunes de cette génération se sont concentrés uniquement sur les études et leurs parents ne leur ont jamais appris à cuisiner. Ils sont donc très éduqués, mais ils achètent des repas pour emporter ou retournent chez leurs parents pour manger. »
De l’autre côté de l’océan, une observation similaire a été faite sur les milléniaux américains; même s’il a été noté que pour ce groupe, la cuisine est devenue une tendance inspirante.
Le changement, bien sûr, est une certitude de la vie. Les anciennes civilisations ont évolué avec le développement des connaissances agricoles et de la technologie qui a mené à un approvisionnement en nourriture plus constant. Plus de nourriture signifie plus de monde. La nourriture, les finances et la politique deviendront de plus en plus liées, comme l’illustre le commerce des épices, qui a changé le monde et est souvent cité comme point de départ de la mondialisation.
De même, au fil des siècles, l’industrie de la pêche a été soumise aux caprices de la politique et de la religion. Le refus du Vatican d’annuler le mariage de Henry VIII à Catherine d’Aragon a mené à la montée de l’anglicanisme en Angleterre et la réduction du nombre de jours de jeûne officiels.
Le poisson, un aliment essentiel lors des jeûnes, a été associé au pape, et donc jugé non patriotique, ce qui a eu des répercussions négatives sur les ventes de poisson. Trois cents ans plus tard, la nourriture associée au jeûne et la nourriture rapide ont fait boule de neige quand un franchisé McDonald’s entreprenant, qui n’arrivait pas à vendre des hamburgers le vendredi à la population majoritairement catholique de Cincinnati, a inventé le Filet de poisson, qui connaît un grand succès à l’échelle mondiale.
Ranimer le passé
Aujourd’hui, nous voyons que le renouveau joue un rôle clé dans l’évolution des cultures alimentaires et la création de nouvelles modes culinaires. Il existe un vif intérêt envers les pratiques traditionnelles, desquelles nous tirons du réconfort, de l’inspiration ou même des idées pour trouver des solutions associées à la production des aliments.
On constate une préférence croissante pour les aliments biologiques; en réponse aux préoccupations au sujet de la santé, de l’hygiène alimentaire et des répercussions environnementales des pesticides et des herbicides, de même que relativement à l’approvisionnement en aliments équitables et éthiques. Aux É.-U. seulement, le marché des aliments biologiques croît trois fois plus vite que le marché des aliments non biologiques. Un quart des Américains évite aussi activement les allergènes (parce que le nombre d’enfants américains souffrant d’allergies alimentaires a augmenté quatre fois plus rapidement que la population au cours des 20 dernières années). Les diètes basées sur une plus grande proportion de protéines d’origine végétale sont aussi à la hausse; et alors que l’approvisionnement suit la demande, les ventes de protéines d’origine végétale et les options de rechange à la viande devraient passer de 4,6 milliards en 2018 à 85 milliards d’ici 2030.
L’intérêt pour l’agriculture régénérative est aussi à la hausse. Le retour à l’agriculture et à des méthodes de productions des aliments moins intensives (qui améliore la qualité du sol et la biodiversité) est stimulé par différents facteurs : la production durable, une réponse aux changements climatiques grâce à la capacité du sol à emprisonner le carbone et l’intérêt accru des gens à savoir d’où proviennent leurs aliments.
L’hyperlocalisme est roi.
Une nostalgie de la vie locale et en accord avec le passage des saisons comprend un approvisionnement régional, une consommation saisonnière et de nouvelles utilisations d’ingrédients oubliés.
À Aotearoa en Nouvelle-Zélande, le chef du Rotorua, Charles Pipi Tukukino Royal, est un pionnier de la redécouverte des herbes sauvages indigènes et des fougères comestibles. Et la cheffe Monique Fiso de Wellington a étudié les pratiques de cuisine et les ingrédients maoris traditionnels, et les a élevés à une nouvelle forme culinaire et est devenue, par le fait même, l’une des chefs culinaires les plus modernes de la Nouvelle-Zélande. L’approche de Monique Fiso, expliquée dans un formidable ouvrage intitulé « Hiakai », peut être comparée à la nouvelle cuisine nordique, qui met en valeur les ingrédients locaux et les produits naturels et saisonniers, comme base aux nouvelles recettes.
Comme ils l’étaient dans le passé, les marchés d’alimentation (malgré les récentes répercussions de la Covid-19) demeurent les piliers d’une collectivité en santé. Le rôle économique et social que les anciens marchés ont joué dans le passé est aujourd’hui réinterprété par une gamme de fournisseurs, dont des fabricants de fromages, des apiculteurs avec une boutique de miel, des boulangers et des cultivateurs de fruits et légumes, provenant d’horizons divers et qui offrent la possibilité de créer des liens interculturels. Tous représentent collectivement un engagement envers le savoir-faire basé sur une production en petites quantités plutôt que commerciale.
Prendre le temps
Vous vous demandez peut-être ce qui a le plus d’impact sur une vie saine? La réponse pourrait être aussi simple que le temps. Une étude récente a révélé que nous passons près de la moitié moins de temps dans la cuisine que le faisaient nos parents. Toutefois, cuisiner à la maison redevient une tendance à la hausse, et la commodité et la rapidité des boîtes d’aliments y contribuent.
Il ne fait aucun doute que la tendance a été amplifiée par l’impossibilité de manger au restaurant pendant la pandémie, avec l’apparition des termes « boîte de recettes » et « gastronomie prête à manger » puisque tout le monde, des plus grands chefs Michelin aux supermarchés en vrac, a commencé à offrir des repas pour emporter.
En fait, les boîtes repas constituent un immense marché. Nestlé, la plus grande entreprise d’aliments et de boissons au monde, a récemment acquis la société Simply Cook, un fournisseur de boîte de recettes par abonnement contenant des ingrédients déjà mesurés. Ce n’est là qu’un des achats de plusieurs millions de dollars qui incluent les boîtes de recettes Mindful Chef au R.-U. et le service d’abonnement Freshly aux É.-U. (d’une valeur estimée à 950 millions $).
Des entreprises comme Hello Fresh en Allemagne, le chef de file du marché des boîtes repas de 300 millions $ en Australie, et qui connaît une croissance fulgurante en Nouvelle-Zélande, a révisé ses revenus mondiaux à la hausse à 710 millions € (1,2 milliards $) pour le premier trimestre de 2021, comparativement à 410 millions € pour la même période l’an dernier.
Pour un monde en santé
L’auteur de science-fiction, William Gibson, a déjà écrit : « Le futur est déjà là — il n’est simplement pas réparti équitablement. », et nous pouvons dire la même chose des aliments. Bien que nous puissions nous faire livrer rapidement des plats préparés, la distribution de la nourriture à l’échelle mondiale demeure inégale et coûteuse.
Dans les pays occidentaux, près d’un tiers des aliments produits sont gaspillés et la production alimentaire mondiale devrait augmenter jusqu’à 70 % pour répondre à la croissance de la population. Nous pouvons donc nous attendre à d’autres innovations dans le domaine de l’alimentation; non seulement en ce qui concerne les applis que nous utilisons pour nous procurer des aliments, mais aussi dans la façon de les produire plus efficacement.
La gamme d’ingrédients novateurs, dont les noix hypoallergènes et les fruits de mer à base d’algues, continue de croître, particulièrement les produits haut de gamme à base de plantes pour la santé et le bien-être. En fait, la « nouvelle normale » de consommation des clients ressemble plus à de la cuisine maison, à des ingrédients de base achetés en vrac et à l’achat en plus petites quantités de « meilleurs » ingrédients; à l’amélioration de la commodité pour emporter et du magasinage sans contact; aux achats respectueux de la santé; et à l’augmentation du nombre de personnes désireuses de payer plus pour des produits qui correspondent à leurs principes de durabilité et d’éthique.
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